C’était le vendredi 13 septembre 1957 

Les héros de Bouhandès

Le vendredi 13 septembre 1957, Bouhandès, à quelques kilomètres au sud-ouest de Chréa, dans le massif blidéen, a été le théâtre d’un dur accrochage entre l’armée de libération nationale (ALN) et l’armée française.

Deux jours après, l’Echo d’Alger rendait compte de cet accrochage dans un article sous forme de bulletin de victoire. « Repérés par l’aviation, accrochés par les paras, les tirailleurs et les fantassins, 56 rebelles hors de combat dans l’Atlas blidéen », titrait le journal dans son édition du dimanche-lundi 15/16 septembre 1957.

Le douar Bouhandès, accroché au flanc sud du djebel Béni Salah qui fait comme une sorte de mur d’une hauteur de 900 mètres, face au santon Lalla M’Sennou (1066 mètres), élevé sur un monticule des  Béni Messaoud, était jusque-là peu connu. «Nous ne connaissions pas les lieux. Nous traversions la zone pour la première fois», témoignera, bien plus tard, un survivant, membre de l’ALN.

Ce douar avait été choisi par les responsables de la wilaya 4 pour y faire converger des sections des commandos des zones 1 et 2 composés majoritairement d’étudiants et de lycéens qui, eux-mêmes, étaient assimilés dans les rangs de l’ALN à des «étudiants». Nour Eddine Rebah, étudiant à l’Université d’Alger, en faisait partie. Avec son groupe, il était arrivé la veille, au soir, à Bouhandès.

Le groupe de Nour Eddine venait de Tiberguent, hameau perché dans le djebel Béni Messaoud, où, avec ses compagnons d’armes, il avait passé la journée du 12 septembre. Parti de l’ouest de l’Atlas Blidéen, son groupe avait franchi le col de Mouzaïa, traversé la coupure de La Chiffa et pris, à partir de Camp des Chênes, un sentier muletier à travers la forêt de Takitount.

Le 12 septembre 1957 à Tiberguent (dans le djebel des Beni Messaoud)

Alors que Nour Eddine se trouvait dans un refuge à Tiberguent, dans la partie supérieure de la vallée encaissée de l’oued Djir, boisée de chênes et de pins, il vit venir vers lui, fortuitement, Hamid Allouache, son camarade de l’UJDA (Union de la jeunesse démocratique algérienne) et compagnon d’armes des maquis de l’Arba et de l’Ouarsenis.

De passage dans la contrée, Hamid Allouache, qui était dans la situation de « transit », eut la surprise de le trouver au commando (Nour Eddine l’avait intégré au mois d’août 1957 à Hayouna, dans la montagne de Cherchell). « Omar Oussedik  m’a proposé de quitter le maquis pour suivre des études à l’Académie militaire de Baghdad. J’ai refusé, lui a-t-il dit. Me trouvant en situation de « transit », j’ai demandé à intégrer le commando de la zone où je me sens en sécurité». Je me trouve à l’aise parmi les jeunes lycéens et collégiens et d’autres jeunes qui n’eurent pas la chance d’apprendre à lire et à écrire. Tu vois devant toi ces jeunes paysans analphabètes, ils sont tellement conscients de l’enjeu, qu’ils ont un moral à toute épreuve», lui dit-il.

Nour Eddine lui parla, avec beaucoup de fierté, de la dernière opération à laquelle il participa. C’était le 3 septembre 1957, à Ouled Benaîssa, à 8 kilomètres au sud de Médéa, par une matinée brumeuse. Les paras croyaient surprendre le commando, mais la  riposte du commando fut telle que six appareils d’aviation ont été détruits : un hélicoptère Sikorski, un piper club, deux Morane et deux T6. L’ennemi abandonna le combat, emportant ses nombreux blessés et laissant sur le terrain ses morts dont un colonel.

Nour Eddine lui parla aussi d’un autre accrochage, intervenu à Hannacha, juste avant la traversée de la route Berrouaghia-Médéa, qui s’est soldé par de lourdes pertes en hommes et en matériel dans le camp français. Avant de quitter Tiberguent, dans la nuit, Nour Eddine prit avec son groupe une photo-souvenir qui s’avèrera être la dernière.

Dans la vallée d’oued el Merdja (dans les Beni Salah)

Arrivée dans la vallée profonde d’oued el Merdja, sa section fit la jonction avec l’autre section du commando de la zone 2, qui, venue de Sidi El Fodil,  était sur les lieux depuis le jeudi matin. Au douar Sidi el Fodil, situé au nord-ouest de Bouhandès, se trouvait une SAS (Section administrative spécialisée), chargée de surveiller les mouvements de la population, en place depuis  plusieurs mois.

Regroupés dans la vallée d’oued Merdja, les commandos des zones 1 et 2 de la wilaya 4, venus l’un de l’est, l’autre de l’ouest, devaient récupérer des fatigues de leur marche, longue et pénible, entrecoupée d’accrochages avec l’ennemi.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, les guetteurs, postés par le chef des renseignements et liaisons du secteur, observèrent un mouvement de troupes ennemies sur les crêtes du djebel Béni Salah. En face, au sud de la vallée d’oued el Merdja, des blindés tous feux éteints étaient passés par le chemin qui monte de Camp des Chênes vers koudiat Lalla M’Sennou (1066 m.). Les sentinelles en informèrent aussitôt le lieutenant-militaire Ould Terki / Si Tewfik.

Les troupes ennemies observaient le mouvement des maquisards depuis la nuit, à partir de Djamaa Draa et du pic Abdelkader, point culminant de la montagne de Blida, qui domine oued Merdja de toute sa hauteur (1629 m). Le général Massu, qui  était sur les lieux, avait mis en place un dispositif de bouclage comprenant d’importantes forces. Les éléments de la compagnie de marche du 65ème régiment de Chréa avaient reçu en renfort les soldats de la zone du sud-algérois : les parachutistes coloniaux du 6ème RPC, commandé par le colonel J. Romain-Desfosses, les tirailleurs algériens du 9ème BTA et les fantassins du 6ème Régiment d’infanterie.

Installés en force depuis deux mois à Chréa, dans le massif de Blida, les paras du 6ème RPC connaissaie
nt le terrain. Le régiment engagea  quatre compagnies dans le bouclage de la zone: la deuxième, à l’est d’Amchach, la quatrième, au nord de Bouhandès, les deux autres, la deuxième et la première, appuyées par les Chasseurs alpins, sur les monticules qui séparent les Béni Salah des Béni Messaoud. La troisième compagnie fut amenée en renfort par camion

Le général Massu semblait être bien renseigné. La harka de Chréa avait «bien» accompli la tâche qui lui avait été définie.

Vendredi 13 septembre 1957

Le vendredi 13 septembre, au petit matin, l’armée française mit en action son dispositif infernal contre la vallée profonde de Beni Salah. Nour Eddine et les autres voltigeurs de sa section, armés de fusils MAS 49, reçurent l’ordre de faire une percée dans le filet tendu par l’ennemi. Ils tentèrent une brèche par le nord-ouest de Bouhandès, du côté de l’Ancienne Redoute, dans le massif Guerroumène. La pente était rude. Les rafales des avions B-26 bloquèrent les voltigeurs dans leur ascension le long d’oued Er-Rha, qui rejoint oued Merdja au pied du versant.

Les avions B 26 se mirent à larguer des fûts de napalm pour barrer les issues. En face du pic Abdelkader, du haut de koudiet Lalla M’Sennou, à partir du chaînon qui forme la limite entre les Béni Salah et les Béni Messaoud, les chars lancèrent leurs obus sur les douars d’Amchach et de  Bouhandès.

Nour Eddine mort sans sépulture

L’encerclement ne fut rompu, le soir, qu’au prix de lourdes pertes. Dans cette bataille à armes inégales, des hommes de qualité, ayant fait leurs preuves au combat, laissèrent la vie. Parmi eux, Nour Eddine, âgé de 25 ans. Aux premières heures du violent affrontement, il fut grièvement blessé à l’abdomen. Il ne put être secouru.

 

La nouvelle de sa mort fit le tour du maquis. Ses compagnons d’armes, sortis miraculeusement vivants de la vallée infernale, n’avaient pas oublié ce robuste jeune homme, à la haute stature culturelle, aux qualités humaines forçant le respect. Ils se souvenaient aussi de ses solides convictions politiques.

Parmi ceux qui sont tombés, avec lui, au champ d’honneur, ce au jour- là : Ould Terki Ahmed, dit Si Tewfik, lieutenant de la zone 2 de la wilaya 4, étudiant (28 ans),  Chebout Mokhtar, lycéen (20 ans),  Ramdane, fellah de Sidi Moussa, Sellami, lycéen de Médéa,  Moha dit Moha Chebli. C’est Ould Terki Ahmed, dit Si Tewfik, qui, en sa qualité de chef militaire de la zone 2, a dirigé le combat des deux commandos vendredi 13 septembre.

 

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