Une mémoire des lieux pour la Casbah

بحث حول القصبة العتيقة في الجزائر بالفرنسية

« Un haut lieu de la résistance à l’occupation coloniale ». Si, par malheur, il nous arrivait un jour d’oublier tout ce qui caractérise la Casbah, il resterait, encore vivace dans la mémoire et indélébile, son rôle dans la lutte pour l’indépendance nationale. Pas seulement parce qu’elle fut le principal théâtre de la Bataille d’Alger - exemple classique de contre guérilla urbaine  que les stratèges du Pentagone ont, paraît-il, étudié pour s’en inspirer sur le terrain à Baghdad - mais aussi en tant que sanctuaire du mouvement national bien avant le 1er novembre 1954.

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A l’aise dans la Casbah 

Les militants clandestins qui luttaient pour l’indépendance y étaient à l’aise pour vendre les journaux de leurs partis politiques. Quand la guerre de libération est déclenchée, la Casbah - el Djebel, pour signifier sa position dominante, habité par les musulmans selon la terminologie de l’époque coloniale - se transforme en forteresse assiégée. Personne n’oublie que le premier acte de terrorisme aveugle - « un second tournant dans cette guerre urbaine », comme l’a qualifié Henri Alleg - a été commis par les ultra de l’Algérie française qui ont fait exploser une bombe au milieu d’habitations, au cœur de la Casbah, rue de Thèbes, en 1956.

La bombe de la rue de Thèbes

C’était le 10 août, un peu après minuit, une forte charge explosa détruisant plusieurs immeubles, faisant au moins 16 morts, dont 9 enfants, et 37 blessés. De toute évidence, par cette provocation, les ultra voulaient punir les habitants de la Casbah. Moins de deux mois avant, le 19 juin 1956, la Casbah avait fait sa première démonstration de masse en lançant les impressionnants you you de ses femmes en écho aux clameurs qui montaient de la prison de Barberousse et qui saluaient deux héros, Zabana H’mida et Ferradj Abdelkader, allant vers la guillotine.

L’engagement des habitants, intact

La Casbah se manifestera ainsi à chaque exécution de patriotes dans cette prison toute proche. Les rafles géantes et les grandes opérations de fouille n’influent pas sur l’extraordinaire discipline de ses habitants ni sur leur engagement aux côtés des combattants de la lutte armée pour l’indépendance. Bien sûr, la Casbah a donné aussi ses « bleus », les harkis des villes, (tout comme elle fut anciennement repaire de la pègre algéroise décrite dans le film « Pepe le Moko ») mais cette anomalie n’avait pas l’ampleur qui aurait pu lui donner une quelconque signification.

Décembre 1960

Les manifestations de décembre 1960 confirmeront, s’il le fallait, l’engagement massif de la population de la Casbah dans la lutte pour l’indépendance. De la Place des Martyrs (qui s’appelait place du gouvernement et que l‘on désignait par placette el ‘oud, la place du cheval, en référence à la statue qui trônait en son milieu), on pouvait admirer la forêt de drapeaux algériens pour la première fois déployés aussi nombreux sur les maisons de la Casbah. L’indépendance était déjà dans l’air - une question de temps - et les intimidations du sergent Belgacem qui patrouillait avec ses harkis dans les ruelles de la Casbah, n’avaient plus aucun effet.

 

Après 1962

Eté 1962 : la Casbah se vide d’une partie de ses habitants qui ont couru occuper les logements laissés vacants par les Européens dans les beaux quartiers. Mais tous ne quittent pas la Casbah, sans doute par manque de chance, ceux qui restent n’ont rien trouvé de vacant ailleurs, ou n’avaient pas assez de soutien parmi les nouvelles autorités de la ville, pour prendre le droit de forcer une porte. Certains, peut-être, ont choisi de ne pas bouger par attachement aux multiples charmes de la Casbah, ses marchés où l’on vend de tout, ses ruelles, ses dédales, ses terrasses ensoleillées d’où on peut admirer la mer, avec les treilles de vigne qui descendent le long des murs blancs, (eddalia), les fontaines de Bir Djabbah, la mosquée de Sidi Abderrahmane, les quartiers de Djamâa Lihioud, Zoudj Aâyoune, Bab Edjeddid, M’cid Fatah, l’école Sarrouy,…

Le labyrinthe

La Casbah : un ensemble de ruelles, non carrossables et sans voies d’accès aux véhicules à l’intérieur, le tout-piétonnier souvent en escaliers et en pentes qui dévalent. Le regard ne porte pas loin et les repères disparaissent quand on veut retrouver son chemin. La mémoire des lieux doit être suffisante pour conserver les itinéraires tous chargés d’images apparemment identiques mais pleines de nuances qui les différencient pour orienter le visiteur. L’étranger non averti et non accompagné d’un guide se perdra fatalement dès ses premiers pas dans ce mystérieux labyrinthe.

Le Mouloudia

Eté 1962 : le Mouloudia revient et ramène avec lui le souvenir de l’émergence du football algérien dans cette Casbah, puisque c’est en son sein que le Doyen a pris naissance. C’était en 1921, à partir d’un groupe d’élèves de l’Ecole Sarrouy, qui voulait faire du sport puis la tenue d’une assemblée générale du côté de la Place de la Lyre.

Les années 1980

Il faut croire que la Casbah n’a pas eu la main heureuse avec l’indépendance. On a oublié que le ramassage des ordures ménagères se faisait à l’aide d’ânes et le lavage des ruelles avec l’eau de mer. La  gestion de l’eau y était écologique avant l’heure.

Vétusté, exiguïté, précarité de l’habitat : c’est cela qui a marqué, après l’indépendance, chaque jour encore plus, la vie dans la Casbah. L’eau en canalisation a achevé de fragiliser son tissu urbain original. Les maisons ont commencé à s’effondrer dans l’indifférence des bureaucrates qui géraient la capitale, particulièrement dans les années 1980.

La solidarité

On se rappelle les violentes manifestations de 1985 à la suite de l’effondrement de vieilles maisons, les contestataires étaient majoritairement des enfants qui en avaient marre de la passivité de leurs parents trop enclins, à leurs yeux, à la sagesse et au sens de l’intérêt national qui commandait de ne pas céder à la tentation d’el fawdha (le désordre).

Les bâtisses tombaient sur leurs habitants, les drames s’installaient, les autorités promettaient, le relogement attendait, les douerate menaçaient à nouveau de tomber, elles finissaient par s’effondrer. Heureusement, des voisins solidaires étaient toujours présents pour offrir leur hospitalité le temps que les sinistrés se retournent et puissent faire face à leur nouvelle situation de sans abri.

L’effondrement

Le comble de la malchance est atteint quand l’effondrement se produit en plein ramadhan et, encore pire, à la veille de l’Aid, ça perturbait le jeûne des bureaucrates et dérangeait leurs soirées. Il fallait attendre après l’Aid pour que l’équipe technique se déplace, constate que la bâtisse s’est bien effondrée et ensuite laisser passer le temps et après on verra, plein de mépris pour le statut de sinistrés. Seuls des médecins bénévoles qui avaient pour noms Belkhenchir, Flici, Ould Metidji, synthèse de professionnalisme et d’humanisme, sauvaient l’honneur du pays en portant secours aux malheureux. Les logements de Dely Brahim construits par les Danois étaient trop beaux pour eux. Les sinistrés de la Casbah seront envoyés dans d’autres périphéries, jusqu’à El Affroun, alors qu’ils avaient leur emploi à Alger, notamment au Port.

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Le terrorisme

Années 1990 : le terrorisme prive les Algérois qui n’y habitent pas (ou plus) de faire leur petit tour dans la Casbah.

L’espoir

Années 2000 : les promesses de relogement sont toujours à l’ordre du jour des réunions consacrées à la Casbah et animées par ses spécialistes et ses historiens, ses associations et sa Fondation. Reconnaissons qu’il y a un effort de réhabilitation qui donne l’espoir que ce joyau d’Alger puisse un jour très proche procurer aux touristes le plaisir de déambuler dans ses ruelles et de siroter un café au milieu de sa sympathique population.

Témoin de l’histoire du pays dans ses diverses périodes, de la plus ancienne à la plus récente, la Casbah mérite que les autorités se penchent sur son sort avec sérieux.

M’hamed Rebah

 

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