Mohamed Rebah à Libre-Algérie :

 « J'ai appris à aller vers les gens »


Mohamed Rebah à Libre-Algérie : « Ils rêvaient d'une Algérie libre, juste et solidaire »

Ancien militant de l’Organisation civile du FLN durant la guerre de libération nationale, Mohamed Rebah fit partie de l’équipe rédactionnelle d’Alger républicain. Dans la continuité de son riche parcours militant et professionnel, il s’est lancé depuis dans la recherche en histoire. Infatigable homme de terrain, il n’a cessé d’enquêter pour publier deux ouvrages qui ont connu un grand succès : Des Chemins et des Hommes et Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958. Son travail de transmission ne s’arrête pas à la publication d’ouvrages puisqu’il répond inlassablement aux sollicitations des médias et de divers groupes sociaux (étudiants, écoliers…) avides de connaître l’histoire de notre révolution nationale. Dans cet entretien accordé à Libre-Algérie, il revient sur tous ces aspects de son activité débordante.

Libre-Algérie : Vous vous définissez comme « chercheur en histoire ». Pouvez-vous préciser à nos lecteurs ce que vous entendez par là ?

Mohamed Rebah : A l’ origine, mon but était de trouver les traces de mon frère aîné, Nour Eddine, mort au maquis dans la matinée du vendredi 13 septembre 1957, au lieu-dit Bouhandès, au flanc sud du djebel Beni Salah, au sud-ouest de Blida. J'ai recueilli l'information auprès d'un de ses compagnons d'armes et précisé la date en consultant la presse de l'époque.

Je savais que Nour Eddine avait rejoint le maquis la deuxième quinzaine du mois de juillet 1956. Il m'avait fait ses adieux en me demandant de garder le secret. Un lourd secret. Les autorités coloniales étaient à sa recherche. Au lendemain de l'indépendance, mon oncle Ali Longo qui avait été détenu de novembre 1956 au cessez-le-feu en 1962, m'apprit qu'il l'avait conduit à moto au pont de l'oued Djemaa, au pied du mont de l'Arba. De là, il prit le sentier du maquis. Un jeune maquisard l'attendait.

Auprès des survivants, j'ai collecté des repères, par bribes fugitives. J'ai rassemblé des faits et des dates. J'ai étudié la géographie des chemins qu'il parcourut dans la wilaya 4.

Au mois d'août 1957, Nour Eddine fut affecté au commando de la zone 2 de la wilaya 4. Il rejoignit sa section au douar Bouhlal – à Hayouna, pour être plus précis – dans les monts de Cherchell (wilaya de Tipaza). L'information m'a été donnée par son ancien chef de section.

Mustapha Saadoun, que je connaissais, avait assumé la fonction de commissaire politique dans cette région. Je l'ai sollicité pour me décrire les lieux et en ai profité pour recueillir son témoignage sur sa propre vie au maquis.

Ainsi se développa mon travail de recherche de témoignages. Il aboutit à l'écriture de mon livre Des Chemins et des Hommes : le chemin de Nour Eddine et de Mustapha, deux anciens camarades du Parti communiste algérien (PCA).

Vous n’êtes pas historien de formation, mais votre travail se caractérise par une grande rigueur et un respect scrupuleux des règles de la recherche dans cette discipline. Comment avez-vous commencé et mené votre travail ?

Je n'avais pas vocation d'historien. Je n'ai pas fait d'études académiques en histoire. Je suis économiste de formation. Je suis devenu chercheur en histoire par devoir. Un devoir de mémoire. Dans mon travail, je veille à ne pas me tromper sur les faits et les dates. Je prends mon temps pour vérifier. Ceci par respect pour les personnes auxquelles je m'intéresse. Des personnes que j'ai connues par l'intermédiaire de mon frère Nour Eddine.

Ainsi, sans le savoir, je me trouve à relater les faits recueillis dans le respect des règles de la recherche en histoire. Il faut dire que mon travail me pousse à étudier les ouvrages d'historiens comme Charles-Robert Ageron. Je suis un autodidacte.

Une bonne partie de votre travail de « chercheur en histoire » est consacrée à la transmission. Vous ne vous contentez pas de publier des ouvrages et des articles, mais effectuez un véritable travail d’éducation populaire auprès des populations les plus diverses : écoliers, adultes, paysans, étudiants, associations… Quelles leçons tirez-vous de cette partie de votre activité ? Comment est reçu le produit de votre travail par ces populations ainsi que par les médias, associations, pouvoirs publics ?

Une pratique sociale acquise, dans les années 1950, au sein de l'Union de la jeunesse démocratique algérienne (UJDA), un groupement de jeunesse mixte (des autochtones et des descendants d'immigrés européens) dont j'étais membre actif. L'été 1953, l'UJDA m'envoya au IVème Festival mondial de la jeunesse organisé par la Fédération mondiale de la jeunesse (FMJD) à Bucarest, en Roumanie, et au Congrès mondial des étudiants tenu par l'Union internationale des étudiants (UIE) à Varsovie, en Pologne.

L'UJDA avait des cercles dans les villes et à la campagne. Elle organisait, entre autres activités, des rencontres autour de l'histoire de l'Algérie. Un travail de proximité formidable. J'ai appris à aller vers les gens.

Je vais vers les jeunes. Je réponds aux invitations. Parfois, je prends l'initiative d'organiser des rencontres. Le 17 mai dernier, j'ai rencontré des étudiants en médecine, chirurgie dentaire et pharmacie à la Cité universitaire Taleb Abderrahmane de Ben Aknoun (Alger), autour de mon livre Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958. La rencontre fut chaleureuse. Le 20 mai suivant, une délégation s'est rendue au quartier des guillotinés, au cimetière d'El Alia, se recueillir sur la tombe de leur aîné, l'étudiant en chimie Taleb Abderrahmane.

Mon ami Smaïl Hadj Ali, Maître de conférences, qui assista à la cérémonie, dit que je « dissémine des connaissances historiques auprès des anciennes et jeunes générations ».

Je le fais par devoir de mémoire.

Dans votre premier ouvrage intitulé Des Chemins et des Hommes, vous retracez le parcours de militants des causes nationale et sociale souvent méconnus de nos compatriotes. Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce choix ?

Dans mon premier ouvrage, Des Chemins et des Hommes, j'ai retracé le parcours de militants que j'ai bien connus : Mustapha Saadoun, un ami de mes oncles maternels Makhlouf et Ali Longo avec lesquels il a milité au Parti communiste algérien (PCA) et auxquels j'ai consacré un chapitre, Nour Eddine Rebah, mon frère aîné, Abdelkader Choukhal (un camarade du quartier de Saint Eugène où j'ai grandi), Raymonde Peschard, Maurice Audin qui m'a donné des cours de mathématiques, Odet Voirin, un très bon camarade de mon frère Nour Eddine. J'ai retracé le parcours de Taleb Abderrahmane avec le peu d'éléments que j'avais (j'ai poursuivi la recherche et je lui ai consacré un ouvrage). J'ai donné une brève biographie d'un jeune lycéen, Pierre Ghenassia, dont m'avait parlé son cousin Jean-Pierre Saïd, un camarade d'Alger républicain. J'ai publié la lettre qu'il avait envoyée du maquis à ses parents.

J'ai voulu maintenir vivante la mémoire de leurs luttes. Ils rêvaient d'une Algérie libre, juste et solidaire.

Votre second ouvrage porte en revanche sur une figure connue du combat colonial, Taleb Abderrahmane. Que cherchiez-vous à apporter de nouveau sur ce martyr sur lequel beaucoup de choses avaient déjà été écrites et dites ?

Comme je l'ai dit, j'ai consacré, dans mon ouvrage Des Chemins et des Hommes, un chapitre sur le parcours de Taleb Abderrahmane que j'ai connu par l'intermédiaire de mon frère Nour Eddine. Ce n'était pas suffisant. J'ai poursuivi le travail de recherche. Sur la base de témoignages directs et souvent inédits, j'ai écrit un ouvrage auquel j'ai donné le titre Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958.

Je donne des informations, notamment sur sa scolarité. Il a appris ses leçons et fait ses devoirs à la lumière de la bougie, dans une pièce unique de 18 mètres carrés, partagée avec ses parents et ses cinq frères et sœur. Fils d'ouvrier, il est parvenu au prix d'énormes efforts à accéder à l'Université où il suivit des études en chimie.

Je parle de la Casbah de son enfance et de sa jeunesse, véritable « bouillon de culture nationaliste ». J'évoque son éveil politique au contact de militants du MTLD (Ahmed Benamar connu sous le nom d'Ahmed Laghouati et Ahcène Askri) et du PCA (son voisin Ahmed Akkache, Ahmed Ould Amrouche, Abderrahmane Akkache et Tayeb Bouhraoua).

Je donne des informations sur son départ au maquis, au mois de juin 1956, dans la forêt de Tigrine, au sud d'Azzeffoun. J'informe des  conditions de son arrestation au maquis de Blida où, recherché à Alger, il s'était replié.

Mon ouvrage contient des informations jusque-là méconnues du grand public.

Vous travaillez depuis de longues années sur les camps de regroupement dans lesquels l’armée française parqua la population de nombreux villages durant la guerre de libération nationale. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Une prochaine publication est-elle en vue à ce sujet ?

J'ai mené les premières enquêtes sur les camps de regroupement de la région de Cherchell, au début de l'année 2012. Avec l'aide d'anciens maquisards, j'ai pu rencontrer des anciens déportés du camp installé sur la plage de Messelmoun. Ils étaient tous originaires du douar Bouhlal, au sud-ouest de Cherchell. Puis l'enquête s'est étendue aux camps de Tamloul, Bouzerou, Rhardous, Hadjret Ennous. Je pensais écrire un livre mais les éléments recueillis ne sont pas suffisants. J'ai opté pour une autre forme. J'ai publié les récits recueillis sous forme d'article.

Comment expliquer que, cinquante-cinq années après l’indépendance, des Algériens, officiels ou non, continuent de penser – puisqu’ils le disent – que les Maurice Audin, Fernand Iveton, Pierre Ghenassia et autres Raymonde Peschard doivent être commémorés pour « leur soutien à notre lutte de libération nationale » ?

En hommage aux Algériens de confession juive engagés sans réserve dans le combat pour l'indépendance, le GPRA a édité une brochure intitulée Tous Algériens, en 1960, en pleine guerre de libération nationale. Il cite le sacrifice de Pierre Ghenassia, mort en héros au maquis de Blida, en 1957, à l'âge de 18 ans.

Le GPRA cite le nom de ce jeune élève de Première Moderne du lycée Bugeaud d’Alger (aujourd'hui Emir Adelkader) comme symbole du plein engagement d'Algériens non musulmans dans la lutte libératrice : Henri Maillot et Maurice Laban, morts au maquis de l'Ouarsenis, le Docteur Georges Counillon, Georges Raffini, Roland Siméon et André Martinez, morts au maquis des Aurès, Raymonde Peschard, morte au maquis des Bibans, Fernand Iveton, mort sur l'échafaud, Maurice Audin, mort sous la torture, Georges Acampora et Jacqueline Guerroudj, rescapés de la guillotine. Et bien d'autres qui furent arrêtés, torturés et condamnés à de la prison.

Pour la majorité des Algériens non musulmans, l'engagement dans la lutte pour l'indépendance commença à l'intérieur du Parti communiste algérien.

L’un des enjeux de votre action actuelle consiste à éviter que l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française d’occupation coloniale ne constitue une simple « affaire franco-française ». Pouvez-vous nous dire où en est cette affaire d’une façon générale et plus particulièrement au niveau algérien ?

« L'Affaire Audin » pose la question des milliers de disparus durant la Bataille d'Alger. Ce n'est pas un cas isolé. Dans sa lettre au Président de la République française, Josette Audin dit : "Comme beaucoup d'Algériens, mon mari...". La disparition de Maurice Audin s'inscrit dans le cadre de la terrible répression ordonnée par le gouvernement français. Cette répression fut menée par l'armée commandée par le général Massu à qui tous les pleins pouvoirs avaient été accordés.

Pour l'instant, les autorités françaises n'ont pas répondu à la question : "Où est le corps de Maurice Audin ?"

"L'Affaire Audin" s'inscrit dans le cadre de la demande formulée par les autorités algériennes sur la question des archives.

Ancien directeur d’Alger républicain, Boualem Khalfa vient de nous quitter. Vous avez travaillé à ses côtés ainsi qu’à ceux d’Abdelhamid Benzine et d’Henri Alleg dans l’équipe de ce journal. Quel souvenir gardez-vous de cet homme et de votre collaboration avec lui ?

Boualem Khalfa, Henri Alleg, Jacques Salort et Abdelhamid Benzine ont conjugué leurs efforts pour faire d'Alger républicain un grand journal de lutte contre le colonialisme. Au Journal, l'ambiance était fraternelle. Aux réunions quotidiennes de la rédaction, les discussions étaient empreintes d'une grande franchise. Boualem Khalfa portait un grand intérêt aux pages sportives.

 

Entretien réalisé par Ramdane Mohand Achour

Mohamed Rebah

 

Économiste de formation, il a été militant de l’Organisation civile du FLN (1956-1962) et détenu politique des camps de concentration de Ben Aknoun (Alger), Paul Cazelles (sud Algérois), Bossuet (sud Oranais) et Arcole (Oranais).
A fait partie de l’équipe rédactionnelle d’Alger républicain sous la direction d’Henri Alleg, Boualem Khalfa et Abdelhamid Benzine.
Auteur de deux ouvrages portant sur la guerre de libération nationale : Des Chemins et des Hommes (éditions Mille Feuilles/Alger, novembre 2009) et Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958 (éditions APIC/Alger, avril 2013).
Co-auteur de la brochure Les Torturés d’El-Harrach (éditions de Minuit/Paris, 1966).
Il a donné plusieurs communications au Forum d’El Moudjahid sur le parcours de Raymonde Peschard, Maurice Audin, Taleb Abderrahmane et Fernand Iveton. Au Centre Culturel Algérien de Paris, à l’Institut des Sciences Politiques d’Alger (Ben Aknoun) et à la télévision (Canal Algérie) et la radio algérienne.
Il est intervenu aux séminaires pour doctorants à l’Institut National des Études Démographiques (INED) de Paris sur les camps de regroupement pendant la guerre de libération nationale.

 

 

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