Mémoire de La Poudrière-Saint Eugène (Bologhine) -Alger

      Une pensée pour Ahmed Ouachem, 

assassiné par l’OAS

Le 1er mars 1962, le Journal d’Alger annonçait, dans la rubrique «attentats», l’assassinat par l’OAS, dans le quartier de La Poudrière, à Saint Eugène, d’Ahmed Ouachem.

Dans le quartier, on l’appelait Ahmed, on ne connaissait pas son nom; les pieds-noirs, par racisme, l’appelaient Negro. Originaire de Biskra, il était arrivé, on ne sait pourquoi, ni comment, à La Poudrière, à peine adolescent et seul. Il a été pratiquement adopté par la famille Bounazou dont il devint vite un des siens. Un jour tragique, vers la fin des années 1940, en voulant descendre du tramway en marche, il glissa, sa jambe passa sous le tramway, qui l’écrasa.

Unijambiste, il s’aidait de béquilles pour se déplacer mais s’adapta très vite à son handicap, ne ratant rien des occupations des jeunes de son âge, en particulier la baignade à la plage et tous les autres jeux, surtout les matchs de football où il avait le poste d'arrière central. Ceux qui l’ont connu se souviennent de ses reprises de volée redoutables. Il était arrivé à faire oublier à tous qu’il était handicapé. La sympathie et l’estime qu’il avait gagnées n’avaient rien à voir  avec la compassion, elles étaient dues à ses qualités, à sa bonne humeur, à son courage.

Il gagnait sa vie en travaillant chez un boulanger d’origine espagnole qui avait la particularité de montrer de la sympathie pour les musulmans. C’est ce boulanger qui lui a acheté les  béquilles et c’est précisément lui qui l’a informé qu’il était ciblé par l’OAS, lui conseillant de partir. Selon les indications données par des jeunes du quartier, Ahmed avait été témoin d’un crime raciste dont a été victime un musulman et avait dénoncé son auteur, un pied-noir qui habitait La Poudrière.

Pour échapper à la menace de mort, Ahmed est allé se réfugier à Biskra. Mais, au bout de quelques jours, il revint. Il fut hébergé au «Quartier Pirates», comme on l’appelait à l’époque, une sorte d’enclave dans le quartier, accessible uniquement par de longs et larges escaliers, et dont les habitations étaient occupées par des musulmans. En haut de la pente, commençait une petite colline boisée avec une piste menant vers Notre Dame d’Afrique. Les pieds noirs ne s’aventuraient jamais au «Quartier Pirates».

Ahmed avait pour consigne stricte de ne pas descendre, en aucun cas, sur l’avenue principale. Il n‘a pas suivi cette mesure de vigilance qui lui a été recommandée par ses amis. Son imprudence lui a été fatale. Fin février 1962, il n’a pas résisté à la tentation d’aller dans un café tenu par un pied-noir, juste en bas du «Quartier Pirates», sur l’avenue principale. C’est là qu’il a été assassiné.

Ce même jour, mon regretté frère Abderrahmane était passé, à quelques mètres de là, récupérer des affaires dans l’appartement que nous avions déjà quitté pour fuir les criminels de l’OAS. Abderrahmane racontera plus tard : «L’immeuble semblait vide si ce n'est l'aboiement du chien des voisins. Le quartier était désert et inquiétant. Heureusement que l'arrêt était juste à côté. Du bus, j'avais aperçu le corps de Ahmed avec ses béquilles, gisant à terre».

Ahmed, unijambiste, figure emblématique du quartier La Poudrière, devait avoir un peu plus de 20 ans quand il a été assassiné par les tueurs de l’OAS, qui étaient ses voisins. 

Ce récit a été fait sur la base de témoignages de ses amis du quartier et de l’information donnée par le Journal d’Alger. C’est une sorte d’appel à témoins, ceux qui ont connu Ahmed, ceux qui ont des photos de lui, ceux qui étaient présents au moment de son assassinat.

M'hamed Rebah

 

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