Hommage à

                     LAKHDAR REBBAH


En ce jour de mémoire, c’est un grand honneur qui m’est fait d’évoquer le souvenir d’un homme qui a marqué son temps : Lakhdar Rebbah,  l’homme de confiance d’Abane Ramdane. 

Cette courte communication repose sur le document que m’a remis le fils de Lakhdar Rebbah, Mohamed Rebbah, docteur en droit, professeur à l’Université d’Alger, sur une étude de l’historien Omar Carlier qui connut Lakhdar Rebbah   et sur les différents entretiens que j’ai eu la chance d’avoir avec le défunt disparu il y 27 ans.

D’où vient cet homme qui veilla à la sécurité d’Abane Ramdane, à Alger, dans les premiers moments difficiles de la lutte armée et qui accomplit toutes les missions politiques délicates qui lui furent confiées ?

Quelles sont les racines de son engagement dans la lutte pour l’indépendance ?

Lakhdar Rebbah est né le 26 février 1917 au douar Ouled Djenane, sur le flanc –nord du djebel Dira, dans la région de Sour el Ghozlane, dans une famille d’agriculteurs. Ses aïeux, propriétaires de vastes terres, cultivaient le blé et élevaient du bétail. Suite à l’échec de l’insurrection de 1871, menée par Boumezrag dans la région, ils furent poussés dans les terres moins fertiles du versant nord du djebel Dira.

Au mois de janvier 1919, Mohamed, le père de Lakhdar, dépossédé par l’administration coloniale de la parcelle de terre qui lui revenait en héritage, quitte sa région natale et part s’installer à Alger, au quartier de Belcourt.

Lakhdar a 18 mois. Il va grandir en ville. Il fréquente l’école communale Olivier réservée aux enfants indigènes. Il décroche le certificat d’études primaires dans ses versions française et indigène.

Il joue au football à l’Olympic Montplaisir du Ruisseau, l’OMR. Un jour, à l’issue d’un match avec l’association sportive des tramways algérois (ASTA), il est approché par l’entraîneur de cette équipe qui lui propose de signer une licence à son club en contrepartie d’un emploi aux TA.

Et voilà Lakhdar receveur aux TA, à l’âge de 18 ans. C’est un grand tournant dans sa vie.

 Le personnel roulant de cette compagnie de transport urbain est dominé dans les années 1930  par des militants du Parti du Peuple Algérien (PPA). Ce Parti, créé au mois de mars 1937 dans l’émigration en France,  s’installa, le mois de juin suivant, dans la Haute Casbah, à la rue de Thèbes.

C’est très probablement dans ce nouvel espace qu’il faut chercher les racines de l’engagement politique de Lakhdar Rebbah.

Il adhéra à la kasma des Traminots du PPA, l’été 1937, au moment où, comme l’écrit Omar Carlier, « l’effectif traminot approche sans doute 150 adhérents, soit le cinquième où le sixième de l’effectif du PPA du Grand-Alger ». 

Le jeune Lakhdar avait assisté, quelques jours auparavant, au défilé du 14 juillet à Belcourt où 3000 militants du PPA déployèrent le drapeau blanc et vert frappé  du croissant rouge arboré en pleine rue pour la première fois en Algérie.

La kasma des traminots était dirigée par Ahmed Mezerna, watman (conducteur de tramway), chargé des questions syndicales au sein du Parti. Les réunions de cette cellule d’entreprise se tenaient chez lui à la Casbah. Tout jeune, Lakhdar Rebbah se vit confier la fonction de trésorier.

En plus de cette responsabilité, Lakhdar accomplit sa tâche de militant : coller les affiches, distribuer les tracts, inscrire les mots d’ordre sur les murs.

Il mène cette activité militante tout en continuant à jouer au football. En 1939, il quitte l’ASTA pour suivre le célèbre Abderrahmane Ibrir à l’Association sportive de Saint Eugène (ASSE).

De 1943 à 1945, il effectue le service militaire obligatoire à la caserne des Sapeurs-pompiers du Ruisseau.

L’année 1946 marque un autre tournant dans sa vie. Il quitte son emploi aux TA pour se consacrer au commerce. Il exploite une crèmerie à Belcourt puis un café. Ces deux lieux vont devenir des boites aux lettres et des refuges pour l’Organisation Spéciale (l’OS) que le Parti PPA-MTLD crée en 1947.

C’est là que venaient trouver refuge les dirigeants de l’OS, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella.

Au cours de la période 1946 jusqu’à la date de son arrestation au mois d’avril 1956, ce qui marque son temps, ce sont les missions que lui confia son hôte, Abane Ramdane :

-         La liaison avec  les membres du Comité central du MTLD (« les centralistes ») par l’intermédiaire d’Ahmed Bouda.

-         Sa contribution à la création de l’hymne national « Qassamen »

-         Sa contribution à l’organisation de la réunion entre les dirigeants du FLN (Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda) et ceux du PCA (Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès) au mois d’avril 1956.

Rencontre d’Abane Ramdane avec Ahmed Bouda.

Ahmed Bouda, membre du Comité central du MTLD,  venait de sortir de la prison de Serkadji où il passa six mois de détention (décembre 1955-mai 1956).

Ahmed était voisin de Lakhdar Rebbah. Il habitait au bâtiment F de la même cité. Abane Ramdane le savait. Il demanda à son hôte de l’inviter à le voir mais sans lui dévoiler son identité.

Lakhdar Rebbah invita Ahmed Bouda à un déjeuner amical. Et c’est comme cela que le membre du Comité central se trouva devant le chef du FLN.

Ahmed Bouda servira d’intermédiaire pour rallier au FLN les dirigeants du Comité central tels que Benyoucef Benkhedda

L’Hymne national  « Qassamen »

Lakhdar Rebbah me raconta l’histoire de la création de l’hymne national « Qassamen ». Je marchais avec lui rue d’Isly (Larbi Ben M’Hidi aujourd’hui) quand arrivés au niveau de la rue des Tanneurs, il me dit : « C’est là que commence  « Qassamen ». Je cherchais où trouver l’ancien poète du Parti, Moufdi Zakaria. Le pur hasard me le fit rencontrer là, au bout de la rue. J’étais accompagné de Benyoucef Benkhedda. Je lui  fis part de ce qu’avait demandé le chef du FLN : avoir un hymne qui glorifie la révolution.

Moufdi Zakaria m’exprima sa méfiance. C’était l’époque où les commerçants mozabites étaient agressés au nom de la révolution. Lakhdar Rebbah lui promis qu’il allait tirer cette affaire au clair. Il en parla à Abane Ramdane qui fit une déclaration affirmant que ce n’était pas le fait du FLN. Moufdi Zakaria reprit confiance et écrivit le poème en une nuit, dans son local de la rue Boutin, dans le quartier de l’actuelle mosquée Ketchaoua.

FLN-PCA

Lakhdar Rebbah contribua à l’organisation de la rencontre des dirigeants du FLN avec ceux du PCA clandestin. C’était au lendemain de la capture d’un camion d’armes au mois d’avril 1956 par Henri Maillot. Le PCA  chercha à prendre contact avec le FLN. Le docteur Sadek Hadjerès, un des dirigeants du PCA demanda à son ancien camarade de faculté le docteur Rabah Kerbouche de voir parmi ses contacts la personne qui pourrait en parler aux dirigeants du FLN.

Rabah Kerbouche en parla à Lakhdar Rebbah. Le rendez-vous fut pris avec Abane Ramdane. La première rencontre eut lieu au cabinet du docteur Mokrane Bouchouchi, chirurgien-dentiste.

Les discussions entre les deux partis aboutirent à un accord sur l’intégration des Combattants de la libération dans l’ALN.

Au lendemain de l’indépendance, l’évènement le plus marquant dans sa vie de militant est l’évasion de Hocine Aït Ahmed, le 1er mai 1966, de la prison d’El Harrach où il était détenu.

C’est sur le sentier qui mène de Camp des Chênes à Bouhandès, un douar accroché au flanc sud du Djebel Beni Salah, au sud –ouest de Blida, que Lakhdar Rebbah me raconta l’évasion de Hocine Aït Ahmed le 1er mai 1966 de la prison d’El Harrach où il était détenu.

Hocine Aït Ahmed sortit par la grande porte de la prison portant un haïk blanc au milieu des autres femmes de sa famille qui étaient venues lui rendre visite.

Le plan d’évasion fut préparé minutieusement par Lakhdar Rebbah. Il fut exécuté par le gardien Chouli qui connut Lakhdar Rebbah en détention durant la guerre de libération nationale.

Lakhdar Rebbah conduisit Hocine Aït Ahmed chez lui à Alger-Plage d’où il prit la route du Maroc dans un camion de meubles appartenant à la famille Rebbah.

Je garde en mémoire la modestie et la discrétion de Lakhdar Rebbah. Je revoie sa silhouette élégante, toujours « tiré à quatre épingles », son allure sportive.

Son ouverture d’esprit. J’ai senti un jour qu’il tenait à me confier quelque chose. C’était quelque temps avant qu’il ne parte en Italie pour des soins.  J’étais allé lui dire bonjour en son magasin près du TNA. Il m’invita à prendre un café au square Port Saïd et me confia : « Tu sais, j’ai toujours eu des relations fraternelles avec les anciens journalistes d’Alger républicain. Il me cita particulièrement les noms de Yahia Briki et Abdelhamid Benzine à qui il me demanda de passer le bonjour.

Je suis fier qu’il m’ait choisi pour me faire part de ses sentiments chaleureux envers des frères de lutte.

Lakhdar Rebbah est décédé à Alger le 5 février 1989 ; il repose au cimetière de Sidi M’hamed à Belcourt.

Allah Yarhamek Si Lakhdar, El Ghazal comme t’appelait affectueusement Abane Ramdane.

                                                   Mohamed Rebah

Chercheur en Histoire

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