Le basket- ball à la Casbah  

Introduction

Inventé en décembre 1891, par un homme d’église canadien, éducateur dans un grand collège de la lointaine Amérique, le basket-ball, devenu sport des élites françaises, entra dans la Ville indigène, à Alger, au milieu des années 1930, par la grande porte du premier club musulman, alors tout auréolé par son accession en Division d'Honneur de foot-ball, le Mouloudia, qui avait remporté le championnat de Première Division et battu en match de barrage l’Olympic de Marengo.

Le Mouloudia arborait fièrement, depuis son assemblée constitutive le 31 juillet 1921, quelques jours avant l’Aïd el Kebir, les couleurs annonciatrices du drapeau du Parti du Peuple Algérien (PPA) et de la résistance armée, le vert et le blanc étroitement mêlés au rouge. Dans les années 1930, son Conseil d’administration était présidé par un conseiller municipal d’Alger, Mohamed Tiar, gros propriétaire terrien et gros commerçant de figues.

C’est à cette même époque que virent le jour le Vélo Sport Musulman (VSM) et l’Union Sportive Musulmane Algérienne (USMA), venus partager l’étroit espace vital de la Casbah avec le Mouloudia, l’Avant-Garde Vie au Grand Air (AGVGA) et les Dragons Gymnastes Algérois (DGA), et que, pour la première fois, un indigène, le Blidéen Abdelkader Abbès, fut sélectionné au Tour de France cycliste. C’est également dans ces années 1930 que brillaient, en Gymnastique, Bouzrina (champion d’Afrique du Nord, en 1929, sous les couleurs « Blanc et Vert » de l’Association Vie Au Grand Air), Mourad et Rachid Didouche, Smaïli Mohamed et les frères Abdelhamid.

Dans le contexte de l’arrogance des fêtes célébrant le centenaire de la conquête, les clubs musulmans assurèrent la fonction de ciment national. L’idéal poursuivi était la solidarité, la fraternité, l’altruisme.

Dans la ville européenne

Le basket-ball, un jeu collectif d’intérieur, avait été introduit en France dans les bagages du professeur Ridéout, de retour, en 1893, d’un stage effectué aux Etats-Unis d’Amérique. Il apparut à la ville universitaire d’Alger, au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans les beaux quartiers du centre, un espace construit et habité par les élites citadines françaises fortes de leur arrogance, où s’étaient portés les commerces de luxe, les grands garages et les nombreux et spacieux bureaux - Plateau Saulière, rue Michelet et rue d'Isly qui constituèrent pour ainsi dire la "Cité du basket" avec des stades bien aménagés tel que le stade Paulinier, du nom du général de division, commandant du 19 ème corps d’armée (1920-1923). Ce sport devint l'apanage des riches clubs européens qui se distinguaient particulièrement en athlétisme et en cross country : Gallia Sports (G.S.A), Association Sportive de Montpensier (A.S.M), Association Sportive d’Alger (A.S.A), Red Star, Union Sportive Algéroise (U.S.A), Rugby Club Algérois (R.C.A).

A la Casbah

A la Casbah, étalée sur 20 hectares, déjà surpeuplée par l'arrivée vers 1903 des populations fuyant la misère de Kabylie, les premiers militants de l'Etoile nord-africaine à Alger, Mahmoud Abdoun, Mohamed Taleb, Hocine Asselah, des hommes affables, à la grande capacité d’écoute, préoccupés par la formation civique et l'encadrement politique des jeunes menacés par des fléaux sociaux (alcoolisme, drogue), se rencontraient, au cercle du Mouloudia, 4 rue Mac Mahon, un lieu de convivialité et d’échanges, pour discuter de ce problème avec des amis comme Ali Zaid, président-fondateur de l’USMA.

La Casbah, lieu de résistance, à forte concentration identitaire, soumise à la haute surveillance des troupes sénégalaises, était le centre de gravité politique, pour les militants de l’indépendance. Au mois de juin 1937, Messali, rentré de France, installa le PPA à la rue de Thèbes, au local où se réunissaient les militants de l’Association des Amis d’El Oumma, héritière de l’Etoile Nord-Africaine dissoute par le gouvernement Léon Blum. C’est dans cette Vieille Ville – le Djebel - à la forte densité humaine, que se croisaient revendications sociales et aspiration à l’indépendance.

Le parti de Messali avait encore son caractère prolétarien. Il s’appuyait sur le syndicalisme pour « les petites revendications », pour « l’amélioration matérielle des Algériens ». A la tête de la direction d’Alger, Ahmed Mezerna, wattman aux Tramways algériens (TA), était le spécialiste des questions ouvrières portées à l’ordre du jour après les grèves de l’été 1936 qui furent très fortes chez les traminots et qui avaient vu les Algériens adhérer à la CGT. Il fut un des dirigeants du syndicat des traminots avec Mohamed Douar, Mohamed Khider, Ahmed Ghermoul, Mohamed Remdani, Abdelkader Tefafra, Amara Ferchioukh.

Un peu plus tard, les militants se réunissaient, place Duquesne, au nouveau local. Il y avait là des hommes du peuple, tous de condition modeste : Mohamed Guenanèche, Arezki Kahal, Ibrahim Gharafa, Khelifa Ben Amar, Hocine Lahouel, Mohamed Belamine, Rabah Moussaoui, Rachid Ouamara, Mohamed Khider, Mahmoud Abdoun, Mohamed Taleb, Mohamed Boursas, Mustapha Dechouk, Mohamed Douar, Moufdi Zakaria, Mohamed Lassaker, Abdelkader Harga, Hadj Smaïn, Omar Hamza, Henni, Messaoudi, Mohamed Mestoul, Ouergli. On discutait bien sûr du problème de l’éducation politique de cette jeunesse d’origine rurale dans sa grande majorité. Le sport, école de courage et de solidarité, était à leurs yeux un moyen de la sauvegarder des fléaux sociaux qui la menaçaient et aussi un moyen de garder une influence sur elle.

A l’origine

Les jeux collectifs sportifs avaient fait leur apparition à la Casbah avec la création, le 14 juillet 1895, de l’Avant-Garde d’Alger (AGA). Appelée, comme tous les nouveaux clubs qui commencèrent à voir le jour en 1880, « société d’encouragement aux sports », cette formation de gymnastique, initiée par le Gouverneur Général et le chef d’Etat-major du 19ème Corps d’Armée d’Alger, dans le souci d’embrigader la jeunesse indigène de la Casbah, avait pour objet « la préparation militaire pour les futurs conscrits musulmans ». Les postes clés du Conseil d’administration étaient détenus par de hauts fonctionnaires de la direction des Affaires militaires. La direction générale des exercices avait été confiée à un ancien militaire de carrière de l’armée française et champion de gymnastique, Omar Benmahmoud. L’AGA étendit par la suite ses activités au football et au cross-country. 

L’école Sarrouy

Avant de faire son entrée dans l’espace public, par la porte du Mouloudia, que lui ouvrit Mahmoud Abdoun, un homme d’une générosité sans pareille, le basket-ball était pratiqué à l'école principale des indigènes, du nom de son directeur, Jean Sarrouy. Ainsi la première équipe de la Casbah fut-elle constituée à l’initiative des élèves de cette école publique en vue de participer, au mois de mars 1930, au premier championnat scolaire, dans le contexte particulier à l’Algérie colonie de peuplement, celui du clivage citoyens/non citoyens.

C’est au cœur de cette école communale, tenue à l’écart de l’agglomération européenne, séparée de la ville française par une sorte de « mur », que s’est constitué le noyau des équipes du Mouloudia, en I937, et de l’USMA, en 1941, portées par deux hommes dévoués, Mahmoud Abdoun (25 ans) et Mohamed Taleb (24 ans), militants actifs et écoutés du PPA naissant.

Mohamed Rebah

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